Film de clôture de Cinemania, Le roman de Jim, d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, d’après le récit d’autofiction de Pierric Bailly, raconte le drame d’un homme que la vie sépare du garçon qu’il a élevé et aimé comme un fils. LaPresse a rencontré les cinéastes lors de leur passage à Montréal.
Lorsque les éditions P.O.L ont demandé à Pierric Bailly, cinéphile averti, de leur fournir des noms de cinéastes qui pourraient transposer à l’écran son livre Le roman de Jim (2021), les frères Larrieu (Peindre ou faire l’amour, Le voyage aux Pyrénées, Les derniers jours du monde), réputés pour célébrer la nature, l’amour et la sensualité avec un grain de folie, se sont retrouvés au sommet de la liste. Et pourtant, le sujet semblait parfait pour les frères Dardenne.
«Oui, mais pas dans la forme, admet Arnaud Larrieu. Les Dardenne auraient pu en faire une adaptation, mais elle aurait été complètement différente. Il y avait beaucoup de questions formelles sur la manière de faire passer le temps. Le roman est un enchaînement de petits fragments, au jour le jour. Il n’y a quasiment pas de séquences. Depuis la rencontre, on fréquente beaucoup l’auteur et je pense que c’est le côté romanesque du Roman de Jim qui l’a mené vers nous. Il avait vu nos premiers films, il savait qu’on pouvait raconter une histoire sur 25ans.»
«Dans le résumé, il y avait un côté un peu sociologique, le sujet de société des pères naturels et des pères par éducation, poursuit Jean-Marie Larrieu. Et puis on a ouvert le livre, on l’a lu, assez vite, et là, il y avait une complicité évidente dans l’écriture, dans la manière dont il parlait des personnages, de traiter le sujet. Les choses étaient dans la vie même. Il n’y avait pas de morale ni d’idéologie. Seulement des personnages qu’on avait l’impression d’avoir déjà croisés.»
Campé à Saint-Claude, dans le Haut-Jura– les frères Larrieu ayant décidé de préserver les lieux du roman plutôt que de le transporter dans leurs Pyrénées natales–, Le roman de Jim met en scène un héros tout aussi ordinaire qu’admirable, Aymeric (Karim Leklou).
«On dit que c’est quelqu’un de gentil, qui va tout encaisser, mais pour nous, c’est la puissance, explique Jean-Marie Larrieu. Il nous fait penser à ce qu’on appelle dans le rugby français les piliers, les premières lignes. On les voit assez peu, mais c’est eux qui font tout le travail. Et quand ils tombent, ce qui n’arrive pas souvent, il en faut beaucoup.»
Au cours d’une soirée, Aymeric croise Florence (Laetitia Dosch), ancienne collègue, célibataire et enceinte de six mois. Après sept ans de vie commune, Aymeric, Florence et Jim (Eol Personne) reçoivent la visite de Christophe (Bertrand Belin), père biologique du garçon. Bientôt, Aymeric se sent de trop dans le portrait de famille.
S’ils sont demeurés fidèles au récit original, les cinéastes ont dû en sacrifier plusieurs éléments afin de résumer le tout en à peine plus d’une heure et demie. Dire qu’ils sont passés maîtres dans l’art de l’ellipse relève de l’euphémisme.
«On a voulu garder le titre, révèle Arnaud Larrieu. C’est Aymeric qui raconte l’histoire de Jim, comme s’il disait: “Voilà ce que je peux te livrer et après, tu pourras te construire.” Il y a eu un moment où il ne fallait plus ouvrir le livre parce que chaque fois qu’on le rouvrait, on se disait: “Ah, ça, c’est bien! Ça, c’est bien!” Dans le roman, les choses du quotidien se répètent, mais dans le film, il y a des ellipses énormes.»
«Ce sont des choses du quotidien, mais comme elles n’arrivent qu’une fois dans le film, tout prend une proportion épique: la première fois que Jim se dresse sur ses jambes; la fois qu’ils ont décidé de vivre ici [Montréal], la fois qu’ils entendent la chanson de Souchon en se rendant à l’école… Du coup, ça finit par travailler le spectateur, nous les premiers, et il finit par se passer quelque chose de très émouvant», avance Jean-Marie Larrieu.
La force de Karim Leklou
Une grande partie de l’émotion passe par l’interprétation formidable de Karim Leklou, qui, bien que son nom soit arrivé tôt dans le processus de distribution, n’a été rencontré dans un café par les frères Larrieu qu’à quelques jours de la date butoir. En cinq minutes, les deux cinéastes ont compris qu’ils avaient trouvé la perle rare.
«Ce mec a une force dingue! s’exclame Arnaud Larrieu. Pour nous, l’histoire était nouvelle, il fallait donc un nouvel acteur. Les premiers qu’on a vus, c’était nos acteurs. On ne s’était pas rendu compte qu’il fallait passer à autre chose. Karim a un côté acteur américain; il n’a pas peur de ne rien faire. Il se pose et il a confiance en ce qu’il dégage. Avec ses grands yeux, on entre facilement dans sa tête.»
Outre le territoire, l’histoire et l’acteur, qui leur permettaient d’explorer de nouvelles avenues, les Larrieu s’attelaient à un genre leur étant méconnu, celui du mélodrame.
«C’est intéressant d’avoir une boussole, dans ce cas-ci le mélodrame. Après, on s’est demandé ce que ça voulait dire pour nous, le mélodrame. Est-ce que le but, c’est les larmes? Là d’où l’on vient, dans le cinéma, l’émotion, ce n’est pas de la manipulation. On aime beaucoup travailler avec Mathieu Amalric, qui passe par le faux pour atteindre le vrai. Pour Le roman de Jim, il fallait quelqu’un qui soit d’emblée dans le vrai», conclut Jean-Marie Larrieu, en révélant qu’il prépare avec son frère l’adaptation de La foudre, de Pierric Bailly.
À Cinemania le 16novembre, à 18h, au Monument National, et le 17novembre, à 11h, au Cinéma du Musée
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En salle le 22novembre